Retour sur…

Un voyage au Rwanda

Pierre Llongo, un jeune de 17 ans a accompagné le père Louis de Romanet qui visitait notre communauté au Rwanda en juillet 2023. Il nous fait part de son expérience dans l’article ci-dessous.

Une découverte de la vie fraternelle à Simbi”

Je m’appelle Pierre Ilongo et du 3 au 21 juillet, j’ai accompagné le père Louis de Romanet lors de sa visite de la communauté des frères installée à Simbi au Rwanda. Comme mon nom le suggère, mon grand-père est originaire du Congo Kinshasa. Conscient de la richesse de cette histoire familiale mais dont j’ignore tant, j’ai, en grandissant, exprimé une volonté croissante de découvrir le continent de mes origines, son histoire, ses cultures et ses populations.

Le père Louis a célébré le mariage de mes parents il y a 24 ans et depuis, ma famille a gardé un lien fort avec lui et est très attachée à la communauté des chanoines réguliers de Saint-Victor et à ses projets. L’occasion d’une découverte du continent africain s’est présentée lorsque le père Louis a évoqué le projet de son voyage dans la maison de Simbi au détour d’une conversation téléphonique et a proposé que je l’accompagne. J’ai ainsi pu séjourner avec les membres de la communauté sur place et les jeunes qu’elle forme et goûter à la vie fraternelle durant quelques semaines. Je vais ici vous raconter quelques-unes des merveilleuses découvertes que j’ai pu faire.

À peine arrivés, nous avons été accueillis très chaleureusement par le père Arkadius, prieur, le père Gilbert, le père Jean-Bosco et les huit jeunes qu’ils forment actuellement. Pleins de générosité, de joie de vivre et désireux de partager leur charisme canonial, ils m’ont ouvert grand les portes de leur vie fraternelle et m’ont accueilli comme l’un des leurs. Même si pour l’instant, du haut de mes dix-sept ans, je n’ai pas senti d’appel de Dieu m’invitant à entrer dans les ordres, je peux témoigner de la grande beauté que représente la vie en communauté et l’amour fraternel qui l’infuse. Choisir la vie canoniale n’est pas un chemin facile, et j’admire le courage des jeunes en formation qui aspirent à devenir chanoines et qui, au-delà de devenir prêtres, souhaitent s’investir au service de la communauté et vivre dans la fraternité. Le nombre important de ces jeunes témoigne d’une chose qui m’a frappée sur place : la vitalité de la foi chez la population locale et la ferveur religieuse qui en découle. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que chaque dimanche, l’église paroissiale est comble et se révèle même trop étroite pour accueillir les fidèles venus en nombre assister à l’office de sept heures trente du matin ! Durant les célébrations, l’enthousiasme que provoquent l’Eucharistie et la communion avec le Christ chez les croyants transparaît largement dans les chants et les danses animés qui rythment la messe. Cette ferveur apparente est communicative et remplissait de joie mon cœur à chaque fois que j’en étais témoin. En comparaison avec les difficultés qui agitent l’Église de France et qui mettent parfois la foi des croyants à rude épreuve, participer à un moment de communion fort comme celui-ci a rempli mon cœur d’allégresse.

Le monastère de Simbi est juché au sommet d’une colline à proximité de l’église paroissiale derrière laquelle s’étend une vue imprenable sur la kyrielle de collines environnantes (la réputation de “pays aux mille collines” est loin d’être usurpée !). Le lieu est particulièrement sublime à l’aube et durant les quelques minutes à peine que dure le crépuscule.

Durant le séjour, j’ai fait la connaissance du bréviaire qui est rapidement devenu mon compagnon d’aventure. Au début, il faut avouer que c’était difficile de rester si longtemps concentré dans la prière, disposé à s’adresser à Dieu, mais on s’habitue vite à ces moments d’oraison qui deviennent des temps rassurants dans la journée. Cela m’a conduit à me questionner sur le rapport au temps que j’entretiens dans ma vie quotidienne, et l’excuse du manque de temps derrière laquelle je me cache parfois pour justifier des manquements à la prière. J’ai réalisé que ces temps ne sont pas du temps “perdu” sur ma journée, bien au contraire, et que cette pression du temps constante à laquelle on se soumet pour de nombreuses tâches n’est pas si primordiale, que la sérénité apportée par la conversation avec le Seigneur est salutaire pour notre “productivité” qui nous obsède tant en Europe. Subséquemment, j’ai pu observer qu’au Rwanda, dans la vie de tous les jours, on prend le temps pour tout, et c’est vrai, rien ne presse ! Cette conception donne parfois lieu à des situations assez inhabituelles et exceptionnelles pour nous, Français pressés. Je pense par exemple à la longueur de l’ordination sacerdotale à laquelle la communauté a assisté à la cathédrale de Butare et qui a duré près de cinq heures ! Quand j’ai évoqué cet aspect avec des Rwandais, beaucoup m’ont fait part de cet adage sur un ton amusé : “En Europe vous avez des montres, nous, nous avons le temps”. Cela porte à réfléchir à la façon dont on apprécie notre temps sur Terre, ce qui compte vraiment, et m’a invité à savourer la beauté de la vie qui nous est donnée à chaque instant.

Peu de temps après notre arrivée, nous sommes allés voir le lieu des apparitions de la Mère du Verbe à Kibeho. Ce qui est frappant dans la spécificité de son message, ce sont les avertissements ignorés de la souffrance des évènements à venir. La violence et l’atrocité du génocide nous sont difficilement concevables, on se demande comment le mal a pu en arriver à un tel degré d’intensité. Cela pose la question de la profondeur de la foi parmi la population qui était majoritairement catholique. Les marques laissées par ce traumatisme sont profondes dans la conscience collective et la communauté travaille à la réconciliation et l’apaisement de ce souvenir si douloureux.

Je me dois, dans cet article, de remercier vivement le père Arkadius qui s’est avéré être un conducteur infatigable lorsque nous avons sillonné les routes du pays émaillées de vélos lestés de dizaines de kilos de bananes, de camions engourdis dans les montées, et de “Sofias” (le joli surnom donné aux radars automatiques de vitesses qui se comptent par centaines sur les routes). Loin d’être de tout repos, voyager sur ces routes s’est révélé être un safari constellé de paysages époustouflants. Succédant aux mille collines rapprochées de la région de Simbi, à l’ouest du pays, l’horizon se dégage peu à peu lorsque nous cheminons vers l’est. C’est chez les sœurs chanoinesses à Rwamagana, dans cette région un peu moins vallonnée, que les frères de la communauté ont séjourné dans le cadre d’une session de travail commune présidée par le père Louis. Cette semaine d’échange et de partage entre les sœurs et les frères s’est déroulée dans un bel esprit de complicité et de soutien fraternel dans la prière. Ce moment, cher aux deux communautés, s’est achevé par une soirée inoubliable d’au revoir durant laquelle les sœurs comme les frères ont dansé et chanté dans une ambiance de famille unie par la fraternité et la grâce de Dieu. Ces danses m’ont marqué par la beauté de leurs mouvements qui transfusent la joie du Seigneur.

Le retour dans la communauté a été marqué par un détour près du Lac Kivu. La région ouest du pays qui borde la rive orientale du lac est particulièrement magnifique. Je n’ai pas de mots assez puissants pour décrire la beauté qui se déployait sous nos yeux au fur et à mesure de nos pérégrinations. Tout au long de la rive du Kivu, des collines escarpées se succédaient et plongeaient élégamment dans une eau bleutée pure et scintillante sous le soleil équatorial. Les dénivelés impressionnants des collines richement boisées contrastaient avec l’impassible horizontalité du lac. Je me rappelle mon réveil après une nuit passée à Kibuye, dans une chambre surplombant l’immensité lacustre : en ouvrant les rideaux, je fus ébahi par l’effusion de beauté que la clarté matinale projetait sur les alentours. Il fallait le voir de ses propres yeux pour réaliser la magnificence de tels paysages et comprendre l’abondance d’œuvres littéraires sur l’Afrique des Grands lacs. J’ai en mémoire la vision d’un hôtel en construction sur une colline boisée qui prenait des allures de château isolé au cœur de la forêt noire, s’édifiant au milieu d’un panorama tout droit sorti d’un conte merveilleux.

La beauté de ce pays se retrouve également dans les fruits qu’il produit, symboles de l’harmonie possible lors de la collaboration du travail des hommes et de la création divine. Je songe par exemple aux avocats et bananes qui poussent sur le terrain du monastère de Simbi et qui dégagent des parfums et des saveurs guère comparables avec ceux que l’on importe en Europe.

La dernière partie du trajet retour s’est faite à travers l’une des dernières forêts primaires d’Afrique, celle de Nyungwe, très étendue et assez fascinante. La luxuriante végétation et les arbres monumentaux et majestueux imposent le respect et nous suggèrent notre petitesse, qui, en dehors des sentiers balisés, pourrait s’avérer fatale dans cette immensité sauvage.

Le dernier soir parmi les frères à Simbi est malheureusement arrivé bien vite. Cela a été l’occasion d’une fête qui a revêtu une dimension particulière puisqu’il s’agissait aussi de la célébration de la solennité de Saint-Victor, saint patron de la congrégation. Les soutiens de la communauté y étaient conviés. Leur rôle a été et est toujours essentiel à cette communauté qui est encore jeune. Je pense ainsi aux sœurs des communautés avoisinantes, aux pères bénédictins de Gihindamuyaga, au directeur de la paroisse, au chef de la police locale et aux nombreux autres amis de la communauté. Les discours de chacun ont été ponctués de joyeux chants et danses des jeunes en formation. Je pense notamment au chant d’au revoir “Muraho” qui nous a beaucoup touchés, le père Louis et moi-même et a clôturé en beauté ces trois semaines inoubliables.

Je tiens à remercier les frères bénédictins qui nous ont accueilli dans leur monastère, dans la chaleur de l’hospitalité rwandaise, le couple d’amis de la communauté, Antoinette et Janvier, qui se sont montrés très accueillants et ne cessent d’aider la communauté, les chanoinesses de Butare et Rwamagana pour leur hospitalité et leur ferveur religieuse communicative, le père Louis de Romanet pour m’avoir permis de l’accompagner dans cette aventure hors du commun pour moi, le père Jean Bosco pour ses connaissances inépuisables sur le Rwanda et son histoire, tous les frères en formations avec qui j’ai lié des liens fraternels et le père Arkadius pour m’avoir accueilli dans la communauté et m’avoir permis de découvrir cette superbe partie du globe. Je souhaite aussi particulièrement remercier le père Gilbert qui m’a offert une magnifique chemise “made in Rwanda” que je porte fièrement depuis mon retour en France. Elle symbolise à mes yeux la richesse culturelle du Rwanda et me rappelle constamment la très belle expérience que j’ai pu vivre pendant ces trois semaines.

Merci du fond du coeur à tous,

Murakoze mwese mbikuye ku mutima. Bakristu bavandimwe, ndabasengera.

Pierre Ilongo, juillet 2023