Homélie du dimanche des Rameaux

© Fred de Noyelle / Godong

Ne nous laissons pas voler notre mort. Quelques repères pour notre monde en souffrance.

Le dernier signe d’humanité et même de religiosité qu’on accorde à un homme aujourd’hui dans notre Europe déchristianisée, reste encore la célébration qui accompagne sa mort. En Europe, nous ne célébrons plus beaucoup de baptêmes, nous célébrons encore moins de mariages, pourtant un certain nombre de gens se tournent encore vers l’Église quand ils sont confrontés à la mort d’un proche. Depuis quelques semaines, ce n’est plus le cas, d’abord parce que les services funéraires sont débordés, comme en Italie ou en Espagne, et ensuite à cause des mesures sanitaires en vigueur qui ne nous laissent pas vraiment le choix, si nous ne voulons pas nous-mêmes semer la mort. Jésus est proche de toutes les familles dans le deuil qui ne peuvent pas rendre à leur défunt l’hommage qui lui est dû, car lui-même s’est vu refuser jusque dans sa mort le respect et la dignité qui étaient dues à sa personne.

N’avait-il pas affirmé : « Il n’est pas possible qu’un prophète meurt en dehors de Jérusalem ». Or Jésus a été crucifié en dehors de la ville sainte, à l’extérieur des remparts, en ce lieu où étaient crucifiés les condamnés de droits commun, ce lieu qu’on appelait le « Golgota » en araméen, mot qui signifie « crâne », parce que dans cette vieille carrière désaffectée, un rocher avait gardé la forme d’un crâne. En faisant mourir Jésus sur une croix en dehors de la ville sainte, dans ce terrain vague où se faisaient les exécutions, les chefs des prêtres et les pharisiens cherchaient à vider la mort de Jésus de toute signification religieuse. Celle-ci ne pouvait plus apparaître aux yeux des juifs comme une mort de prophète. Pour les juifs un crucifié était même maudit de Dieu. En volant la mort de Jésus, en la privant de signification religieuse, les chefs des prêtres et les pharisiens pensaient pouvoir aussi vider sa vie de toute signification, ils pensaient pouvoir voler sa vie. Pourtant Jésus avait prévenu ses disciples en leur disant : « ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne. » ou encore « Ceci est mon corps livré pour vous, ceci est mon sang versé pour vous »

Les différents sévices qu’a subit Jésus de la part des prêtres n’avait pas d’autre but que de nier chez lui toute dimension religieuse : « Alors dit l’Évangile, ils lui crachèrent au visage et le giflèrent ; d’autres le rouèrent de coups en disant fais le prophète, ô Christ qui t’a frappé ?» Au moment même où l’entourage du grand prêtre nie chez Jésus sa qualité de prophète, à quelques mètres de là, une prophétie de Jésus s’accomplit. Elle s’adressait au chef des apôtres, à Pierre, comme un moyen de le sauver du naufrage en cette nouvelle tempête. « Avant même que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois », se rappelant cette parole de Jésus Pierre fondit en larme au chant du coq. Pour se moquer de Jésus, les chefs de Jérusalem avaient mis un voile sur ses yeux, précise st Luc et ils témoignent eux-mêmes de leur propre aveuglement : « fais le prophète, qui t’a frappé ? » Ils ne reconnaissent pas que Jésus est vraiment un prophète et même plus qu’un prophète, le Fils de Dieu, comme le professera, un centurion romain précisément en le voyant mourir. Celui-ci est pourtant un de ceux qui ont mis Jésus en Croix, c’est un romain, un païen.

Alors même que les chefs des prêtres cherchaient à voler la mort de Jésus, en la privant du sens qu’elle pouvait avoir aux yeux d’Israël, celle-ci devient une mort non seulement pour Israël, mais une mort pour tous les hommes, parce qu’elle est une vie offerte pour la multitude, pour les Juifs comme pour les païens, pour nous tous.

En communauté, nous avons agité des rameaux comme les foules de Jérusalem, comme elles nous voulons reconnaître en Jésus notre Roi en qui les hommes trouvent toute leur dignité. Qu’est-ce que cela signifie pour nous aujourd’hui devant cette pandémie où les morts deviennent des statistiques et des chiffres ?

D’abord, ne laissons pas cette société voler à l’homme sa dimension religieuse. Ne nous laissons pas voler notre dimension religieuse, celle-ci doit pouvoir s’exprimer dans notre vie, comme dans notre mort, que Jésus nous invite à vivre comme une offrande semblable à la sienne, une offrande jusqu’au bout, comme une Pâques, c’est-à-dire comme un passage de ce monde au Père.

Ensuite la Croix de Jésus invite à nous laisser contaminer par son amour, elle nous enseigne à regarder toujours l’autre avec amour, surtout la personne qui souffre, qui a besoin d’aide, d’un geste, d’une parole, d’un regard. Il y a, et il y aura beaucoup de gens à consoler de par le monde après cette pandémie. Sommes-nous prêts, sommes-nous là pour eux ? Nous ne pouvons pas les rencontrer aujourd’hui, nous ne pouvons pas leur tendre la main, nous ne pouvons pas les embrasser. Pourtant la Croix de Jésus nous invite à sortir de nous-mêmes, à être inventifs, créatifs pour les rejoindre. Beaucoup de gestes de solidarité brillent comme des lumières dans la tempête en ces heures troubles. Nous connaissons tous une personne âgée, seule chez elle ou dans un EHPAD, qui sera heureuse de recevoir un appel, une lettre. Nous avons croisé beaucoup de visages durant la passion de Jésus. Celui des apôtres, celui de Pierre, du Grand-prêtre, des gardes, de Pilate, de Simon de Cyrène, celui de Marie-Madeleine et d’autres femmes, celui de Joseph d’Arimathie qui prendra soin de la sépulture de Jésus. Lequel d’entre eux voulons-nous être pour ces gens-là ?

Voulons-nous être comme les apôtres qui ont fui ? Ou voulons-nous être comme Pierre qui verse des larmes conscient de sa faiblesse ? Voulons-nous être comme Pilate qui se sent dépassé et qui se lave les mains, ce geste est plus que recommandé aujourd’hui, mais il n’est pas recommandé de faire l’innocent et d’abandonner son frère au sort du mal, comme Pilate l’a fait ; ou voulons-nous être comme Simon de Cyrène qui aide Jésus à porter sa croix ? Voulons-nous être comme les gardes et ceux qui se moquent ou voulons-nous être comme ces femmes qui n’ont pas peur d’accompagner Jésus jusqu’au bout avec amour et tendresse ? Ou encore comme Joseph d’Arimathie qui offre à la dépouille de Jésus son propre tombeau ? Jésus nous regarde tous en ce moment douloureux et pose à chacun cette question : toi qui veux-tu être ? Que lui répondons-nous ?

Enfin chers frères, déposons nos joies, nos souffrances sur la Croix de Jésus ; déposons là toute cette semaine sainte la souffrance de tant et tant de gens, malades, fatigués, dépassés, des gens dans le deuil ; déposons sur la croix de Jésus tous les défunts, déposons la souffrance du monde, nous y trouverons des mains ouvertes, des bras ouverts, un cœur ouvert qui nous comprend, qui nous pardonne, qui nous réconforte, qui nous aime et qui nous demande de porter son amour à nos frères et à nos sœurs.

Père Daniel Roux