1er dimanche de Carême , 10 mars 2019, Abbaye Saint-Pierre de Champagne
HOMÉLIE du Père Abbé Hugues PAULZE D’IVOY
cf. Luc 4, 1-13
Chers frères et sœurs,
Il nous faut en ce temps de carême non pas fuir ni nous voiler la face devant les crimes terribles commis par des prêtres, mais essayer de comprendre la signification profonde, humaine et spirituelle, des épreuves que l’Église doit traverser parce qu’elles sont significatives de toute notre vie chrétienne, et que, tôt ou tard, on ne peut pas y échapper. Cela en nous appuyant notamment sur la parole du concile Vatican II – c’est le magistère de l’Eglise – et sur la parole du Saint-Père François, non parce qu’on est plus ou moins séduit par son style – ce n’est pas la question –, mais parce qu’il est sur la chaire de Pierre, c’est lui que le Seigneur nous donne comme pasteur de l’Eglise universelle et, dans la foi, nous reconnaissons en lui, nous accueillons en lui, la parole de celui qui nous gouverne et qui nous sert au nom du Seigneur.
Il y a trois jours, le Saint-Père François a rencontré les prêtres de son diocèse de Rome. Il leur a parlé avec beaucoup de force, pour dénoncer l’hypocrisie des membres du clergé qui ont commis ces actes horribles dont la honte rejaillit sur nous tous, d’abord les prêtres, mais aussi sur vous avec nous dans une certaine mesure. Il leur a dit quelque chose qui, je pense, nous entraîne à mieux comprendre ce que nous avons tous à vivre dans notre vie chrétienne, tous, d’une manière ou d’une autre, à un degré ou à un autre : « Le Seigneur purifie son épouse et il nous convertit tous. Il nous fait expérimenter cette épreuve pour que nous comprenions que sans lui, nous sommes de la poussière. Il nous sauve de l’hypocrisie, de la spiritualité des apparences. » (Rencontre avec les prêtres du diocèse de Rome, 7 mars 2019).
Voici, frères et sœurs, ce que dit le Concile Vatican II à propos de l’Eglise qui est sainte et qui comporte des pécheurs : « L’Église… n’est pas faite pour chercher une gloire terrestre mais pour faire éclater aux yeux, par son exemple aussi, l’humilité et l’abnégation… » Car, explique le Concile, c’est la voie que le Christ lui-même a suivie, c’est ce chemin que nous faisons pendant le carême vers son rejet et sa Passion et non pas vers une gloire humaine tout de suite éclatante et reconnue. Et le concile précise :
« Tandis que le Christ, saint, innocent, sans tache, n’a pas connu le péché, venant seulement expier les péchés du peuple, l’Eglise, elle, qui enferme des pécheurs dans son propre sein, est donc à la fois sainte et appelée à se purifier et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement. » (Constitution dogmatique Lumen gentium, 8).
Dans l’oraison de la messe des cendres, mercredi, nous avons demandé au Seigneur la grâce pour être plus forts pour lutter contre l’esprit du mal. Dans l’oraison de la messe de ce premier dimanche de carême, nous demandons la grâce de mieux connaître le Christ, pour vivre davantage dans sa lumière, et être victorieux en lui des tentations qui veulent nous tenir enchaînés et prisonniers de nos failles, de nos limites. Et nous voyons quelle forme cela prend en dévoilant l’esprit du mal à l’œuvre – derrière c’est Satan – et quel type de tentations il nous propose pour nous empêcher d’être libres dans notre amour de Dieu et des frères, c’est-à-dire d’être vraiment nous-mêmes.
Permettez-moi de citer aussi ce que disait le Saint-Père François à la fin de la réunion de trois jours sur la question des abus sexuels. Les journalistes disent être déçus, et c’est normal, parce qu’ils ne possèdent pas certaines éléments spirituels et qu’ils attendent des résultats immédiats alors que ce mal profond ne peut pas se régler en trois jours ; il ne faut pas rêver. Une conversion profonde prend du temps. Je ne voudrais pas être un prophète de malheur mais je crains que nous ayons encore d’autres choses à entendre, je préfère vous le dire. Mais le Saint-Père François, après avoir fait une remarquable analyse de la situation globale dans le monde – et cela ne plait pas à tout le monde –, ce qui ne réduit en rien la responsabilité de l’Eglise et des prêtres, nous dit qu’il ne faut pas seulement chercher des faits et la justice, même si la justice est un moment capital pour la vérité, mais qu’il faut chercher la signification spirituelle de ces épreuves que l’Eglise doit traverser et cela touche chacune de nos vies d’une manière ou d’une autre. Voici donc ce que dit le Saint-Père :
« Nous sommes aujourd’hui face à une manifestation du mal, flagrante, agressive et destructrice. Derrière et à l’intérieur de tout cela, il y a l’esprit du mal qui, dans son orgueil et son arrogance, se sent le maître du monde et pense avoir vaincu. Et cela, je voudrais vous le dire avec l’autorité d’un frère et d’un père, certes petit et pécheur, mais qui est pasteur de l’Eglise qui réside à la charité : … derrière cela se trouve Satan. ». C’est l’évangile de ce jour, frères et sœurs, ce n’est pas autre chose, nous devons mieux l’intégrer. C’est la vie chrétienne, c’est l’évangile : « Nous ne devons pas perdre de vue cette réalité et prendre les mesures spirituelles que le Seigneur lui-même nous enseigne : humiliation, accusation de nous-mêmes, prière, pénitence. C’est le seul moyen de vaincre l’esprit du mal. C’est ainsi que Jésus l’a vaincu ». (Discours au terme de la rencontre sur la protection des mieux dans l’Église, 24 février 2019).
Si l’on regarde un instant ce que la liturgie de l’Eglise nous propose de vivre dans sa pédagogie pendant le carême, de quoi s’agit-il ? D’être dans l’épreuve du désert pour être dépouillés et retrouver l’amour du Seigneur. Trois tentations. Celle des biens matériels : nous ne pouvons pas nous contenter de biens matériels pour être heureux, cela nie ce que nous sommes : des êtres spirituels appelés à la communion avec Dieu.
Adorer le Dieu saint en vérité, c’est-à-dire ne pas mettre au centre de notre vie, de nos préoccupations, notre propre moi et le pouvoir que nous désirons exercer sur toute chose. Nous décentrer : nous ne sommes pas le maître de notre vie. C’est Dieu, si nous croyons en lui, si nous l’adorons. Et enfin ne pas tenter Dieu, c’est-à-dire nous rappeler que la foi, c’est une relation d’amour vivante avec le Seigneur qui consiste à se laisser conduire par lui parce qu’il est Dieu, parce qu’il est toute vérité et tout amour et parce qu’il connait notre bien mieux que nous. Il veut nous protéger du mal et nous conduire vers la joie. Amen.