Vœux solennels du frère Judethaddée Pierre MAO, Abbaye Saint-Pierre de Champagne
Fête de la chaire de Saint Pierre, vendredi 22 février 2019
Homélie du Père Abbé Hugues Paulze d’Ivoy
Ac 2, 42-47 ; Ps 22 ; Mt 16, 13-19
Cher Frère Jude, chers confrères, chers frères et sœurs,
Écoutons comment Saint Augustin rend compte de ce dialogue entre le Seigneur Jésus et Pierre que nous entendons en cette fête de la chaire de Saint Pierre : « Le Bienheureux Pierre, le premier des Apôtres, cet ardent ami du Christ, mérita d’entendre : Je te le dis, tu es Pierre. En effet il avait lui-même dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Le Christ lui déclara alors : Je te le dis, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Sur cette pierre je bâtirai la foi, sur cette confession je bâtirai mon Église. Car tu es Pierre. Pierre vient de la pierre, comme chrétien vient du Christ… car cette pierre spirituelle était le Christ. » (Sermon 295, 1-5)
La vie chrétienne, frères et sœurs, repose tout entière sur la foi, ce don que Dieu nous fait pour entrer dans la connaissance et l’amour du Père, du Fils et de l’Esprit qui sont un seul Dieu.
Pierre est chargé dans l’Église d’être la pierre solide de toute la foi de l’Église au Christ, à ce que le Christ est, à ce qu’il fait. Il est cette pierre solide : sa vie le lui montrera jusqu’au bout, non par ses mérites ni par ses propres forces mais par le don du Père qui seul peut nous faire connaître et aimer en Jésus son Fils, le Fils du Dieu vivant. La foi est d’abord obéissance à la grâce et à l’appel de Dieu pour vivre de Lui dès ce monde.
Le concile Vatican II l’a magnifiquement exprimé : « À Dieu qui révèle est due « l’obéissance de la foi » (Rm 16,26 cf. Rm 1,5 ; 2Co 10,5-6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu dans « un complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu qui révèle » (…)Cette foi requiert la grâce prévenante et aidante de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint Esprit qui touche le cœur et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne « à tous la douceur de consentir et de croire à la vérité ». » (Constitution Dei Verbum, 5)
Dans notre vie, frères et sœurs, la foi ne nous fait pas découvrir seulement le vrai visage de Dieu mais aussi la vérité la plus profonde de notre être appelé à la communion avec Lui. L’homme ne se comprend que dans le regard de Dieu sur lui, au fur et à mesure de ses étapes de vie dans la foi. C’est ce qu’a expérimenté Augustin : il est parti à la quête de la sagesse, elle s’est révélée à lui dans la vérité qui est Dieu lui-même et Augustin s’est donné entièrement à Dieu qui est la vérité. Il le confesse lui-même : « En vérité, il est une joie qui est donnée à ceux qui te servent gratuitement : leur joie, c’est toi-même. Et la vie heureuse, la voilà, éprouver de la joie pour toi, de toi, à cause de toi. La voilà et il n’en est point d’autre…La vie heureuse est la joie de la vérité car c’est la joie née de toi, qui es la vérité, ô Dieu, ma lumière, le salut de ma face, mon Dieu ! » (Confessions, X, 22, 32-33)
À la suite de l’Apôtre Pierre, la foi nous fait reconnaître en Jésus, le Christ,« à la fois le Médiateur et la plénitude de toute la Révélation », comme dit le concile (Dei Verbum, 2). C’est donc en écoutant le Christ, en obéissant au Christ, en suivant le Christ, que toute vocation chrétienne trouve la joie de la vérité et de l’amour. La vie consacrée est justement dans l’Église et pour l’Église ce don de l’Esprit qui nous fait participer à la vie même du Christ dans l’Évangile.
Voici ce que le concile dit de la vie consacrée : « Tous ceux que Dieu appelle à la pratique des conseils évangéliques et qui en font profession se vouent au Seigneur de façon spéciale en suivant le Christ chaste et pauvre (Mt 8,20 ;Lc 9,58), qui par son obéissance jusqu’à la mort de la croix (Ph 2,8) a racheté les hommes et les a sanctifiés. Poussés dans cette voie par la charité que l’Esprit Saint répand dans leurs cœurs(Rm 5,5), ils vivent toujours davantage pour le Christ et pour son Corps qui est l’Église(Col 1,24). C’est pourquoi, plus fervente est leur union au Christ par cette donation d’eux-mêmes qui embrasse toute leur existence, plus riche est la vie de l’Égliseet plus féconde son apostolat. » (Décret Perfectaecaritatis, 1)
Parmi ces trois vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, c’est celui-ci, l’obéissance, qui nous permet d’entrer au plus profond de la joie véritable, celle d’appartenir tout entier au Christ, ce qui est chaque jour à la fois un don et un combat. Comme le disent nos Constitutions, « l’obéissance chrétienne n’est autre que l’exercice de la foi, adhésion amoureuse à la volonté du Père. », et « fruit d’une liberté humaine parfaite, ce vœu d’obéissance permet à l’homme de régner vraiment sur un monde qu’il rapporte au Père par le Christ pour constituer le Royaume. (Constitutions des Chanoines réguliers de Saint-Victor, 30, 31)
Cher Frère Jude, tu entres aujourd’hui pleinement, définitivement, dans l’Église et pour le monde qui a besoin de ce signe, dans cette liberté souveraine de répondre à l’appel du Christ et de te donner à lui entièrement.
« L’homme consacré par son nom et voué à Dieu, dit Saint Augustin, est un sacrifice en tant qu’il meure au monde pour vivre pour Dieu » (De civitate Dei, X, 6). Mais tu ne le fais pas seul ou isolé, tu le fais dans cette communion de vie que Pierre et les Apôtres, illuminés et embrasés par le feu de l’Esprit Saint, ont instituée au lendemain de la Pentecôte et que notre Père Saint Augustin nous propose comme idéal de vie. Car c’est la communion de charité qui ici-bas nous permet de vivre de Dieu qui est amour et qui veut nous rassembler dans « la cité rachetée, c’est-à-dire l’assemblée, la société des saints qui est elle-même un sacrifice universel offert à Dieu par le Grand Prêtre qui s’est offert pour nous dans sa passion, pour faire de nous le corps d’une si grande tête ». Car, précise Augustin, « le sacrifice en sa totalité c’est nous-mêmes. Tel est le sacrifice des chrétiens… être tous un seul corps dans le Christ. » (Ibid.)
Cher Frère Jude, nous rendons grâce avec toi et nous supplions avec toi le Seigneur pour que tous ensemble, en frères « n’ayant qu’un cœur et qu’une âme tendus vers Dieu » (Règle I, 1), nous puissions nous tourner vers le Seigneur, comme nous le dit Augustin : « Que le Seigneur nous donne d’observer tout cela avec amour comme des êtres épris de la beauté spirituelle, répandant par leur vie la bonne odeur du Christ, non pas comme des esclaves sous la loi mais comme rendus libres par la grâce. » (Règle 8, 1)
Que la Vierge Marie, Mère et modèle de l’Église
qui vit uniquement du Seigneur, te protège et te porte.
Que notre Père Saint Augustin t’accompagne
en pèlerin sur la route, qui est le Christ, vers la patrie céleste.
Que Saint Victor martyr, notre Patron, dont une relique est ici sur cet autel,
t’encourage dans le don entier de toi-même
en témoignage rendu au Dieu vivant. Amen !